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Brasser l’avenir depuis 1758
La brasserie Martens et ses 265 ans de tradition n’y sont pas étrangers. Quelle est la recette de son succès ? Et que réserve l’avenir ? Un entretien avec l’administrateur délégué Jan Martens et le CEO Danny Dresselaerts.
La deuxième brasserie de Belgique
Avec 4,4 millions d’hectolitres de bière par an, la brasserie Martens est la deuxième brasserie du pays derrière AB InBev en termes de volume. Plus de 95 % de la production part à l’exportation vers plus de 80 pays. Ses fleurons sont ses propres marques – Martens Pils, Sezoens, Kristoffel et 1758 –, mais c’est la production de bière pour les marques privées de géants de la distribution comme Aldi en Allemagne et Mercadona en Espagne qui génère la majeure partie du chiffre d’affaires.
JAN MARTENS : « Pour devenir et surtout rester un véritable partenaire commercial de la grande distribution, il faut constamment présenter des atouts solides à tous les niveaux – de la qualité du produit à la fiabilité de la livraison.
Les exigences très élevées de nos clients nous poussent à faire mieux chaque jour. Et en même temps, cette volonté d’innovation est inscrite dans notre ADN. Chaque génération de Martens s’est battue à sa manière, a surmonté des problèmes commerciaux et a lancé des projets intemporels. Regardez notre Sezoens : c’est probablement la première bière au monde à avoir été brassée selon la méthode du houblonnage à cru ou dry-hopping. La recette remonte à 1867. Mon arrière-arrière-grand-père ajoutait du houblon après le processus de fermentation pour pouvoir conserver la bière plus longtemps. Ainsi, toute notre histoire est une succession d’innovations majeures et mineures qui, rétrospectivement, ont constitué des points de basculement importants. »
Danny Dresselaerts, CEO : « La brasserie est bourrée de technologies intelligentes qui permettent de produire avec une empreinte environnementale la plus faible possible ».
Huitième génération
Jan, comme son frère Fons, fait partie de la 8e génération de Martens à la tête de la brasserie. Les quatre dernières décennies ont été dominées par l’innovation et la croissance mondiale. Quand Martens a lancé sa bière en canette dans les années 1980, beaucoup ont froncé les sourcils. Mais le marché a suivi et les ventes ont explosé. Idem même pour les bières en emballage PET. JAN MARTENS : « Fin 2002, l’Allemagne a introduit une consigne sur les canettes. À l’époque, un tiers de notre production était destiné au marché allemand. Les ventes de bière en bouteilles en verre et en canette se sont effondrées, seul le PET se vendait encore. Mais le PET est perméable, ce qui permet à l’oxygène d’oxyder le produit. Nous avons donc mis au point nos propres bouteilles en PET dotées d’une couche interne spéciale. L’ingénierie a commencé en janvier 2003. Six mois plus tard, les premiers camions transportant de la bière en bouteille PET partaient pour l’Allemagne. Par la suite, la bière conditionnée en PET durable a fait son apparition dans d’autres parties du monde.
Un terrain de jeu pour ingénieurs et universitaires
La brasserie historique nichée au cœur de Bocholt s’est vue adjoindre une grande sœur à Kaulille en 2005. « C’est l’une des brasseries les plus modernes d’Europe occidentale et peut-être la plus durable au monde », déclare DANNY DRESSELAERTS. « Notre brasserie est bourrée de technologies intelligentes qui permettent de produire avec l’empreinte environnementale la plus faible possible. Nous consommons deux fois moins d’énergie que ce que prescrit la meilleure technologie disponible et à peine deux litres d’eau par litre de bière. Grâce à de nouveaux investissements dans le traitement de l’eau, nous ramènerons bientôt ce chiffre à 1,3 litre. » La brasserie produit huit bières mères en continu et de manière hyperefficace, qui sont enrichies d’arômes à la fin du processus, puis embouteillées et conditionnées de différentes manières. Cela permet à Martens de produire différentes bières en grandes quantités avec une grande flexibilité et à moindre coût. Parallèlement à cela, la brasserie de Bocholt reste le berceau des bières traditionnelles de fermentation haute, des bières spéciales à plus forte valeur ajoutée brassées à plus petite échelle.
L'excellence rencontre le patrimoine
le mariage de la tradition et du savoir-faire avec l’innovation et l’excellence est plus qu’une simple USP sur laquelle la brasserie mise pour les années à venir. DANNY DRESSELAERTS : « C’est le fil conducteur de notre plan stratégique à long terme : “Excellence meets Heritage”. »
En plus d’un business plan détaillé qui fait figure de point d’ancrage pour le long terme, la brasserie Martens mise énormément sur la gouvernance. JAN MARTENS : « Nous avons un conseil d’administration très performant qui surveille sur notre stratégie. La direction est responsable de sa mise en œuvre. Il existe également un forum familial. Ce n’est pas un véritable organe de décision, mais plutôt un lieu d’échange ouvert entre les membres de la famille, le CEO et le président du conseil d’administration, Luc Van Milders. Nous garantissons ainsi une bonne coordination et une orientation commerciale réfléchie dans la prise de décisions ».
La 9e génération dans les starting-blocks
Jan Martens a racheté les parts de son frère l’année dernière. Il détient désormais 87,5 % du capital. Les 12,5 % restants sont entre les mains par le groupe taïwanais Far Eastern Group, l’un des principaux producteurs mondiaux de plastique PET. « Nous travaillons ensemble depuis 2005 et nous avons construit une brasserie pour eux en Chine. Elle repose entièrement sur les connaissances techniques et le savoir-faire brassicole limbourgeois. »
Bob et Jef, les fils de Jan, travaillent dans l’entreprise depuis plusieurs années. Ils sont préparés à prendre le relais le moment venu. Aussi duo ? « Cela reste à voir. Bien qu’ils soient assurément complémentaires. Bob a étudié l’économie et est responsable du marketing et du business development. Jef est ingénieur et travaille dans la production. »
Pour une entreprise familiale indépendante, rester dans le peloton de tête des brasseurs de bière compétitifs n’est pas une sinécure. Se pourrait-il que la Brasserie Martens soit un jour rachetée ? JAN MARTENS : « Repousser les vagues de fusion et de consolidation fait également partie de notre histoire. À la fin de sa vie, j’ai dû promettre à mon père que la brasserie resterait au sein de la famille. Il n’est donc pas question nous laisser absorber. Nous fêtons nos 265 ans cette année. Fabriquer de la bière, c’est un don. Un savoir-faire qui coule dans nos veines. »
Jan Martens, administrateur délégué : « Pour devenir et rester un partenaire commercial des grands distributeurs, il faut constamment présenter des atouts solides. »
« Notre double stratégie est axée sur la tradition et le savoir-faire, combinés à l’innovation et à l’excellence. Si quelqu’un peut revendiquer ce mariage entre histoire et modernité, c’est bien nous. »
Brasser l'avenir
Pour reprendre les mots de Jan : 2022 a été une annus horribilis. « Si nous avions eu une boule de cristal, nous aurions sûrement acheté notre malt et notre orge avant le 24 février. Les prix de nos matières premières ont augmenté de plus de 150 % par rapport à l’année dernière. En outre, l’énergie aussi a augmenté. J’ai 31 ans d’expérience et je n’avais jamais connu cela. Nous avons pu nous adapter en augmentant nos prix de vente. » Il n’est donc pas question de revoir les prévisions de croissance. En combinant marques de distributeur, marques propres et bières spéciales à plus forte valeur ajoutée, la brasserie Martens a pour objectif de produire 5 millions d’hectolitres à l’horizon 2028. L’entreprise souhaite d’ailleurs exploiter plus intensivement ce dernier segment. Comme le transport de la bière sur de longues distances n’est ni rentable ni durable, l’entreprise envisage d’établir des centres de production high tech locaux dans des lieux stratégiques du monde entier. L’héritage de Jan devient ainsi un ticket pour un avenir riche en défis. La leçon la plus importante qu’il veut transmettre à la 9e génération ? « N’abandonnez jamais. On ne peut pas aller plus loin que ses capacités. Par contre, on peut toujours chercher des moyens d’augmenter ses capacités. »